Comment parler avec ma grand-mère atteinte d’Alzheimer ?

Échanger avec un proche atteint de la maladie d’Alzheimer n’est pas chose facile. Comment s’adapter, comment dialoguer, comment aider ? Découvrez un témoignage très touchant d’une personne qui a accompagné sa grand-mère à travers l’évolution de sa maladie.

Personne âgée assise à table le temps d'une pause thé

S’adapter à la perte de mémoire

Au début de sa maladie, c’était facile, il suffisait de faire abstraction des quelques questions qui revenaient étrangement dans une conversation, continuer la discussion comme si de rien n’était. Nous discutions alors presque normalement, je répondais à ses questions, parfois les mêmes, je lui en posais aussi, je l’écoutais me parler de son chat, de sa solitude, des programmes télé qui ne l’intéressaient pas. Elle souriait, s’activait, se plaignait, tout était presque « normal ». Ne pas penser à cette maladie dégénérative qui allait la priver un jour de ses souvenirs, de mon prénom et de mon visage.

Et puis les troubles cognitifs, comme on les appelle, se sont aggravés. Elle me parlait des commissions qu’elle était allée faire à l’épicerie du quartier le matin même, alors que je savais qu’elle n’était pas sortie depuis des mois de chez elle… Je me contentais de l’écouter, d’acquiescer même, ne pas la contredire pour ne pas la déstabiliser et lui faire peur. J’avais entendu dire qu’il ne fallait pas contrarier les personnes atteintes d’Alzheimer. Et aussi surement parce que c’était plus simple pour moi aussi…. Que dire à sa grand-mère qui s’inquiète de se sentir perdue, qui ne comprend pas pourquoi elle ne se rappelle plus, qui réinvente des souvenirs et une autre vie ?

Une mère et sa fille en train de partager un moment de complicité

Trouver les paroles qui apaisent

Je me suis mise à trouver des mots simples pour la rassurer : « ne t’inquiète pas, c’est normal, tu vas te rappeler, ça va aller ». Et ça semblait fonctionner, elle me souriait, s’apaisait. Mais ces questions se sont rapprochées, elles ont pris de plus en plus de place dans nos échanges. J’ai continué à lui faire les mêmes réponses rassurantes, changeant parfois la tournure pour rendre l’échange un peu moins incongru. Eviter de s’agacer, ne pas lâcher un « je viens de te répondre ». Rassurer, rassurer… par des mots et aussi surement par une voix familière. Je me rappelle avoir ressenti beaucoup de tristesse, elle était bien là… Cette fameuse maladie, elle lui grignotait petit à petit la tête, emportant ses souvenirs, son autonomie et son sale caractère.

Quand les mots ne suffisent plus

Décision a été prise de la faire emménager en EHPAD, en unité protégée comme on l’appelle. Un espace sécurisé pour qu’elle ne se mette plus en danger, et où l’on puisse prendre soin d’elle puisqu’elle n’était plus capable de le faire elle-même. Les gestes simples du quotidien comme se nourrir, se coucher et se laver étaient devenus impossibles à réaliser.

Il a fallu s’adapter avec une nouvelle ambiance, une nouvelle chambre, un nouveau décor qui n’était pas celui rassurant de son appartement que nous avions connu depuis toujours, elle comme moi. Très rapidement, à chaque visite, j’ai eu l’impression de la perdre un peu plus. Moins de questions, moins d’échange, moins d’intérêt pour ma vie et la vie en général, et encore et toujours moins de souvenirs. Mais toujours plus ce besoin d’être rassurée…  Désorientée dans le langage de la maladie. Il m’a fallu me rendre à l’évidence : plus jamais nous ne pourrions avoir une conversation « normale », il fallait faire autrement pour ne pas la perdre complètement et maintenir un contact.

Apprendre à communiquer autrement

Je n’ai pas su faire au début. Il y a eu des blancs, des sourires gênés de ma part, j’ai fui son regard. J’ai même pensé à ne plus venir lui rendre visite. Après tout, elle était incapable de savoir quand j’étais venue pour la dernière fois. Je n’étais tellement pas préparée à cela…. Et puis un jour j’ai eu envie (ou besoin ?) d’établir un contact physique avec elle, envie de la protéger et de la serrer dans mes bras. Je la regardais, mais je n’osais pas. Fichus codes de communication que la société nous inculque ! Les câlins sont réservés aux bébés, aux enfants et aux amoureux. Pour les autres, la distance prend le pas. J’avais peur. Peur qu’elle me repousse. Moi qu’elle avait déjà du mal à reconnaître. J’ai donc attendu d’être un jour seule avec elle, loin des regards, et j’ai osé.

Deux personnes se tiennent la main

Faire appel à d’autres sens

Je me rappelle de ma main attrapant timidement la sienne, puis la caressant. Je me rappelle aussi de son regard et de son sourire. J’ai alors compris que les mots n’étaient plus suffisants pour soigner ses angoisses, et que seules mes caresses semblaient l’apaiser. J’y prenais moi aussi du plaisir, je le ressentais comme un véritable échange. Mon défi ? Ne plus avoir peur du regard des autres. Je ne sais pas combien de temps je pourrais encore communiquer avec elle comme ça, je sais que la maladie va évoluer, peut-être qu’un jour elle me repoussera et je devrai alors trouver autre chose, peut-être m’effacer tout simplement.

La leçon de vie d’Alzheimer

J’ai envie de dire qu’il faut savoir lâcher prise. Ne pas chercher à maintenir à tout prix la relation telle qu’on l’a toujours connue. La laisser évoluer, s’adapter. Ne plus se demander ce qu’il est bien ou convenable de faire, s’écouter, écouter l’autre. Et lorsque les mots ne suffisent plus, il faut laisser parler son cœur, son corps et plus généralement notre nature humaine. Nous devons laisser tomber les codes, laisser de la place au silence et avoir une présence rassurante. Cette maladie est violente, cruelle, mais elle nous apprend beaucoup, on se sent petit et grand à la fois.

N’est-ce pas un juste retour des choses que de bercer ma grand-mère au son de ma voix, de la rassurer de ma présence silencieuse, de l’apaiser de mes mains que le temps commence à marquer, comme elle le faisait elle-même au début de ma vie ?  N’est-ce pas un véritable privilège de me faire la gardienne de ses souvenirs d’enfance qu’elle prenait tant de plaisir à me raconter et de les transmettre à mes propres enfants ? A ces questions, je réponds par un grand oui !  Alzheimer ne nous prendra pas tout Mamie.